« En quoi le cas particulier est-il particulier ? Perspectives aristotéliciennes sur l’indétermination de la règle »

Isabelle Pariente-Butterlin 

En quoi le cas particulier est-il particulier ? Perspectives aristotéliciennes sur l’indétermination de la règle

La normativité demande, pour être efficace et applicable, d’être flexible alors même qu’elle est définie par sa rigidité et son indifférence aux changements des circonstances. Il y a là un effet de vases communicants : ce qui se gagne en efficacité se perd en normativité. C’est dans le cadre de ce balancement conceptuel que Platon (Le Politique, 294 a-d) et Aristote (Éthique à Nicomaque, Livre V, 14, 1137a - 1138a) ont, l’un et l’autre, identifié la difficulté que soulève l’articulation de la loi, dans sa généralité, au cas particulier. Nous commencerons par prendre la mesure de cet accord. En effet, s'ils ont l’un et l’autre incriminé l’indétermination de la norme pour expliquer cette difficulté, Pierre Aubenque (La Prudence chez Aristote, 1963) limite néanmoins la portée d’un accord qu’il considère comme purement formel. Après une relecture de cette discussion, nous serons en mesure de définir ce qu’est le nécessaire ajustement de la loi générale au cas particulier, et de comprendre les difficultés de régulation que pose un réel indéterminé comme l’est celui des actions humaines. Il est remarquable que la philosophie du droit contemporaine prolonge une discussion demeurée depuis lors centrale ; je montrerai qu’elle lui apporte un éclairage quelque peu différent (Endicott 2005). L’hypothèse que je défendrai est que nous sommes alors en mesure de préciser ce que signifie « particulier » dans cette discussion, et de repérer les modifications de ce concept. Or il est essentiel de le préciser car il engage la manière dont nous concevons, en général, le rapport de l’affirmation théorique à la pratique, et en particulier, le rapport de la règle au cas qu’elle doit résoudre.