Yves Pillant
Face au handicap, notre société a pratiqué une « institutionnalisation du handicap » : une catégorisation des personnes permet, pour leur apporter l’aide qui leur est nécessaire, de les « placer » dans des établissements spécialisés. Les transformations de notre société vont bousculer ce schéma. Notre société donne une importance à l’individu qu’il n’a jamais eu ; l’individu est un acteur qui invente sa place et se réalise dans un projet, il est pleinement un acteur de la société ; la dynamique de participation à la vie en société est constitutive d’une citoyenneté active de l’individu et d’une démocratie impensable sans la contribution citoyenne.
A une société normée qui intègre les personnes à condition qu’elles mettent entre parenthèses leurs particularités, l’inclusion oppose une logique qui permet à chacun d’affirmer sa singularité et de vivre parmi les autres en pleine société. La réflexion sur les conditions pratiques de l’inclusion est aujourd’hui forte et mobilise une ingénierie sociale innovante. Mais ces pratiques inclusives ont, pour atteindre leur fin, conjointement besoin d’une posture sociale par laquelle les concitoyens entrent ouvertement en interaction avec les personnes en situation de vulnérabilité. Or notre société a encore peur du fou, du difforme, de la grande vulnérabilité, de tout ce qui altère une représentation de l’être humain complet, suffisant, invulnérable. Ainsi cette minorité n’accède pas à une estime sociale accordant aux individus toute la valeur qu’ils devraient avoir.
Il s’agit donc d’aborder le thème de la vulnérabilité pour comprendre sociologiquement la crainte qu’elle provoque et, anthropologiquement, l’altération imaginaire dont elle est porteuse. Et si la vulnérabilité était au centre d’un projet politique vraiment démocratique ? Et si la vulnérabilité qui parait mettre en péril un projet de société, au contraire, offrait de le régénérer ? D’où ma question : Une politique de la vulnérabilité est-elle « pensable » ?