Le vieillissement : de la crise existentielle aux enjeux éthiques
Pr. Pierre LE COZ
Le vieillissement : de la crise existentielle aux enjeux éthiques
Il y a bien des façons de distinguer la jeunesse et la vieillesse. L'une d’elle consiste à les dissocier sur la base du rapport spécifique que ces deux phases de la vie entretiennent avec la mort. Sur un plan subjectif, nous devenons vieux lorsque nous nous rendons compte que nous avons plus de souvenirs que de projets. Sur un plan objectif, nous devenons vieux lorsque la mort commence à s’abattre autour de nous, qu’elle frappe ceux qui nous devancent à peine en âge. La jeunesse est le privilège de ne pas penser à la mort, d’en avoir une perception abstraite. Certes, dès l’âge de raison, nous comprenons qu’être humain c’est être mortel. Mais il nous faudra avoir parcouru de nombreuses années pour croire en ce que nous savons.
Si dans la jeunesse, la mort ne nous concerne qu’à titre de possible, dans la vieillesse elle se présente à nous sous la modalité du plausible. Socialement, ce changement de statut se traduit par une modification des évaluations morales ambiantes. Tandis que, dans la période de jeunesse, la mort est perçue comme une injustice ou un scandale, dans la période de vieillesse, elle est appréhendée comme un évènement naturel et moralement indifférent. Adam Smith a bien mis en contraste ce changement de registre axiologique : « rarement un enfant meurt sans que le cœur de quelqu’un en soit déchiré » versus : « ordinairement un vieil homme meurt sans être regretté par quiconque.» (Smith A., Théorie des sentiments moraux, [1759], 1999. p. 306.)
Une nouvelle étape, dans le processus de vieillissement, est franchie lorsque la mort passe du plausible au probable. C’est le cas lorsque le corps usé par les années accumule les pathologies. En cas d’affection grave et incurable, on parle parfois de « mourant », ou plus fréquemment de « personne en fin de vie », puis en « toute fin de vie » lorsque cette personne est à l’agonie. Les situations critiques en fin de vie soulèvent des questions éthiques de plus en plus pressantes à mesure que la population générale vieillit. Peut-on interrompre le vieillissement, dès lors qu’il devient trop pesant pour celui qui le subit ? Est-il légitime qu’un homme en vienne à abréger la vie d’un autre ? Si non pourquoi, et si oui sur la base de quels critères ?
On sait que l’aide au suicide ou l’euthanasie sont des pratiques autorisées dans certains pays limitrophes (Belgique, Luxembourg, …). Une aide active à mourir fait passer la mort de la probabilité à la certitude en quelques minutes, par l’injonction intraveineuse de substances létales (barbituriques à forte dose). Le législateur français ne l’a pas autorisée mais prévoit un « droit de dormir avant de mourir » qui réside dans la mise en œuvre d’une « procédure collégiale » (Loi du 2 fév. 2016 « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie »). Les personnes âgées démentes peuvent aussi bénéficier de ce droit sous certaines conditions, y compris en l’absence de leur consentement.
Nous nous demanderons si la philosophie morale peut apporter à l’éthique médicale les ressources nécessaires à la résolution des dilemmes éthiques en fin de vie.
Pierre Le Coz, professeur de philosophie, Aix-Marseille Université, UMR ADES 7268-CRNS-EFS.
Auteur de « L’éthique médicale : approches philosophiques », éditions PUP, oct. 2018