« Pour Gorgias aussi la vérité existe »
Giovanni Casertano (Università degli Studi di Napoli, Italie)
« Pour Gorgias aussi la vérité existe »
Argument :
C’est un vieux préjugé historiographique, qui trouve son origine chez Platon et Aristote, mais qui par la suite va s’étendre bien au-delà des textes et des contextes de ces deux monuments de la philosophie, que celui qui voit dans les sophistes une indifférence revendiquée et consciente à l’égard du problème de la vérité.
Si, pour ce qui regarde Protagoras, lequel avait précisément écrit un ouvrage intitulé Sur la vérité, la question pouvait aisément être résolue, dans la mesure où cataloguer — hâtivement — sa position sous l’étiquette d’un « relativisme » plus ou moins décrié suffisait à la réduire à néant, pour Gorgias, en revanche, le problème semblait insoluble, dans la mesure où, en se fondant sur le supposé « nihilisme » de Gorgias, dont on prétend trouver la source dans le traité Sur le non-être, on en venait à dire que tout intérêt pour la vérité était inconnu du philosophe de Léontinoi. C’est là une opinion rebattue à son tour par une lecture assez simpliste du dialogue platonicien qui porte son nom. En effet, à mon point de vue, on trouve dans l’horizon linguistique et sémantique d’une autre œuvre de Gorgias, l’Éloge d’Hélène, tous les indices nécessaires qui prouvent que les concepts de vérité et d’erreur, non seulement ne sont pas étrangers à Gorgias, mais encore acquièrent une signification prégnante, quoique évidemment éloignée de la conception platonicienne puis de la conception aristotélicienne de ces concepts, lesquels que ce soit en bonne ou en mauvaise part, ont ensuite pénétré notre tradition culturelle et constituent encore aujourd’hui notre référence plus ou moins consciente. En d’autres termes, on trouve dans la perspective gorgienne une élaboration particulièrement raffinée de ces concepts, qui, non seulement constituent un exemple significatif d’une réflexion anti-traditionnaliste caractéristique du mouvement des sophistes, mais sont aujourd’hui encore particulièrement stimulants pour approfondir les problèmes fondamentaux que pose l’action humaine.