« Oubli et soin de la mort dans les enseignements de Diotime (Platon, Banquet 208 a)
Felipe LEDESMA, Universidad Complutense de Madrid
« Oubli et soin de la mort dans les enseignements de Diotime (Platon, Banquet 208 a)
Argument :
Il est probablement quelque peu téméraire de revenir une fois encore sur un texte aussi lu, étudié, examiné et réexaminé que l’a été le passage de la ligne que l’on trouve en République VI (accompagné du résumé qui en est donné en République VII). Un certain accord se fait jour, dans l’histoire des interprétations, entre certains spécialistes quant à la possibilité de distinguer deux types opposés d’activité de l’âme dans l’argument platonicien relatif à la partie supérieure de la ligne. Il y aurait, d’une part, une sorte de captation directe des Formes (qui se départit totalement des éléments sensibles), une activité mentale que Platon appelle noêsis ou noûs, et, d’autre part, un processus qui consiste en une captation médiate des Formes, appelé dianoia, terme que l’on a l’habitude de traduire parfois par « pensée discursive » (cf. République, 509 d – 510 a). Si l’on suit cette lecture, la noêsis — et ce qui dépend d’elle — serait une sorte de connaissance non inférentielle ou connaissance directe des Formes, dans laquelle n’intervient ni la perception ni aucun autre type de capacité cognitive qui lui serait associée, une sorte donc d’« intuition intellectuelle » dont la principale caractéristique serait sa non-discursivité. La dianoia, en revanche, correspondrait à un type d’activité mentale qui procéderait à l’aide de médiations et dont la connaissance correspondrait plus spécifiquement à une « connaissance propositionnelle ». Le propos de cette communication est de présenter une lecture déflationniste de certaines difficultés que présente la ligne telle qu’elle est exposée en République, VI-VII, et d’interroger la manière dont Platon conçoit la dialectique. Un des problèmes cruciaux qui se pose et pour lequel il est fort difficile de trouver une solution est celui de comprendre comment une âme qui procède selon la noêsis peut mettre en acte ses activités cognitives en se départissant complètement de tout élément sensible dès lors que cette âme réside dans un corps. Pour expliquer ce point si important, je ferai appel à un passage très connu du Phédon où Platon tente de montrer qu’il est possible de se désintéresser ou de se dégager du corps « autant que possible » (Phédon, 65 c 7-8 ; cf. aussi 66 b-d). Les images visuelles et la manière dont Platon conçoit le processus cognitif semblent indiquer que le tracé similaire que donne la ligne fut conçu comme une représentation de la voie qu’emprunte l’âme et qui la conduit de la complète obscurité cognitive à la lumière (autrement dit à la connaissance), et que ce processus est entendu comme un processus qui procède par degrés dans le cadre de l’effort que l’individu met en œuvre dans son propre processus d’éclaircissement cognitif. Pour expliquer cela, je suggérerai dans la communication que la thèse selon laquelle l’âme gagne en « clarté » au fur et à mesure qu’elle s’élève de l’eikasia à la noêsis peut se comprendre en termes de « certitude ». Et je soutiendrai en fin de compte que, dans le processus d’éclaircissement cognitif de l’individu, l’état ou la condition (hexis) dans lequel ou dans laquelle se trouve son âme au moment où elle essaie de mettre en œuvre des opérations mentales-cognitives de types différents a une importance réellement significative.
Ces séminaires sont organisés en collaboration avec le Centre d’études sur la pensée antique « kairos kai logos »