Les Rêveries ou la transparence de l'âge
Séminaire "Le vieillissement" CRISIS
Les Rêveries ou la transparence de l’âge
Jean-Marie Chikaoui (Professeur des lycées, Académie d'Aix-Marseille, Institut d'Histoire de la Philosophie)
Les Rêveries du promeneur solitaire ne constituent pas seulement le dernier texte de Jean-Jacques Rousseau, écrit entre 1776 et 1778, et que sa mort viendra clore. Il s’agit ici d’un écrit reposant tout entier sur un informulé constant, véritable sub-structure textuelle : celui de la vieillesse de son auteur. C’est un vieillard qui écrit et dont l’écriture se somatise. Le corps vieux devient alors le lieu de rassemblement de toute une œuvre incomprise qui s’énonce une dernière fois dans les souvenirs d’un séjour solitaire à l’île Saint-Pierre.
La troisième promenade est à cet égard marquante : tout entière orientée vers cet état de fait du grand âge que Rousseau détourne cependant. La vieillesse est, en effet, cet état limite du corps constitué en métaphore politique et éthique. C’est l’état, imposé par la nature, de l’amour de soi retrouvé et qui précède toute dénaturation pratiquée par la culture. L’apparente réitération des lieux communs moralistes (« La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer… Est-il temps au moment qu’il faut mourir d’apprendre comment on aurait dû vivre ? ») est ainsi à prendre en compte : elle ouvre en réalité sur l’autre domaine rousseauiste qui est celui du recouvrement de soi dans le dépassement expérimental (celui du Contrat Social, par exemple, où le droit surplombe les faits) de l’histoire et de l’éthique. Fondement de l’acte d’écrire et émancipation de soi, le dernier texte de Jean-Jacques Rousseau est ainsi une œuvre de transparence en ce sens qu’elle fait de l’âge le vecteur de la vérité d’une existence.
